Ils sont tous là.


J’ai décidé de porter un T-shirt manches longues blanc et un pantalon noir. J’ai peine à croire que je vais danser le solo sans la présence du vent, du froid, de la pluie, de l’humidité qui transperce le corps, des chaleurs accablantes, des sols mouillés, glissants, des bruits de la circulation, des passants parfois provocateurs, cassants ou bien attentifs, aimants, presque protecteurs. 
Pour le jour 1 de ce nouveau 30X30 montréalais, à l’intérieur, je me suis fait plaisir : j’ai invité 30 écrivains que j’aime, 30 écritures à venir écrire quelques mots en regardant le solo. J’ai besoin de cela...
Je viens d’entrer dans mon aire de jeu. Le pire est fait. Je ne me souviens pas d’un jour 1 où le public fut aussi nombreux. Je vois des stylos, des calepins, des appareils photos, quelques visages familiers. Une petite fille de deux ans est assise par terre avec son lapin en peluche. La relève est là... Le sol est plus réceptif que prévu. Les lignes, mes couloirs sont clairs... 
Ce matin, mes pieds faisaient mal, mon avant-bras également, mon poignet semble rétabli. Demain, j’irai me faire masser. Le cou, les épaules, le bas du dos répondent bien. La fluidité est là. Je pivote bien. Mon corps écrit son espace. La température est confortable...
Ces gens m’inspirent. Je les sens avec moi... Tiens, Robert Lalonde... Louise Dupré... Élise Turcotte ; assis dans un coin, Jean-Paul Daoust porte des verres fumés, stylo à la main. Quel privilège de pouvoir danser devant tous ces écrivains mêlés à la foule. Leur attention. Leur exigence. Des textes doivent prendre forme secrètement en ce moment... 
En relevant la tête je vois des gens marcher sur la rue Sainte-Catherine. Il y a un merveilleux puits de lumière au-dessus de moi. Le sol est froid... Je sens de l’amour tout autour. Même mon corps me laisse un peu de répit. Il ne dit pas après chaque geste : «Pousse pas trop, Paulo. Vas-y doucement. Il est dur le plancher.» 
Pourquoi je fais ça ? Pourquoi un autre trente jours ? Parce que je suis rendu là dans ma vie. Mon corps, mon esprit sont mûrs pour cette offrande remplie de gratitude envers la vie... 
Ils sont tous là, assis à la première rangée autour de moi. Ils me regardent, parfois ils semblent ailleurs. Ils savent que je sais qu’ils savent. 
Maxime Du Camp disait de Flaubert, son compagnon de voyage au Moyen-Orient : «Il ne regardait rien et se souvenait de tout.» 
Mon corps et le leur aussi, peut-être.


© Rober Racine



Ils sont tous là, Un danseur 30 écrivains, 27 septembre 2011. 
Hommage à Paul-André Fortier. 
Un danseur 30 écrivains

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